Un récit de Varlam Chalamov publié aux éditions Verdier poche
Treize récits extraits de Récits de la Kolyma, Verdier, 2003
Une Divine Comédie moderne ne saurait être autre chose qu’un document : tel est le constat que l’on trouve au fondement du témoignage de Varlam Chalamov.
Le choix des treize récits qu’offre la présente édition, treize séquences parmi les plus intenses de ce parcours de 17 ans dans les camps de la Kolyma, vise ainsi, outre la mise en lumière d’aspects essentiels de l’univers concentrationnaire, le maintien de la richesse du tracé poétique.
S’il a fallu, en prélevant ces extraits, renoncer à les organiser en recueils, leur échelonnement dans le temps, de 1956 à 1972, reflet de la construction voulue par l’écrivain, atteste de la progression du projet testimonial et littéraire – depuis la capture et la fixation par écrit d’instants de la détention donnés à voir dans leur violence immédiate jusqu’à une interrogation essentielle : est-il possible de faire œuvre sur les ruines du sens après que l’expérience totalement négative du Goulag a détruit les cadres même de la mise en récit ?
La Kolyma : nom d’un fleuve qui coule en Sibérie, nom également d’une région minière, symbole de la souffrance de millions de personnes victimes de la répression soviétique et envoyées dans des goulags.
Ces victimes étaient pour certaines des détenus de droit commun, les autres étant des « ennemis du peuple » : intellectuels, religieux, koulaks ou toute autre personne ayant eu le tort de faire partie des quotas d’ennemis à trouver et déporter par les autorités locales.
Varlam Chalamov a été déporté durant de longues années pour des motifs politiques. De cette horreur, il va en tirer un récit, témoignage majeur de la vie dans les goulags.
La version poche proposée par les éditions Verdier ne regroupe que 13 « chapitres » du récit fleuve original.
Pour autant, les chapitres sélectionnés permettent d’entrevoir tout le génie de Chalamov pour retranscrire l’indicible.
Il n’est pas le narrateur de son récit mais celui-ci est bien évidemment largement tiré de ses souvenirs. Il apparaît néanmoins ça et là derrière les traits d’une figure apparaissant au fil des pages.
C’est un livre qui n’est pas linéaire. Les chapitres doivent être envisagés comme des instantanés, autant de moments qui viennent illustrer la souffrance, la déchéance.
Varlam Chamalov n’occulte rien, il se livre sans pudeur, pour raconter la faim et la fatigue. L’égoïsme nécessaire à la survie. Cette solitude du prisonnier car, qui sait si votre voisin ne vous dénoncera pas, car mieux vaut être seul que de devoir partager le peu que l’on a. D’autant plus lorsque la hiérarchie des camps vous place tout en bas de l’échelle, là où la faim et la fatigue conduisent à laisser de côté toute fierté ou amour-propre pour survivre encore un peu.
Le récit, son extrait ici, montre outre la portée historique incommensurable du témoignage apportée sur le goulag, une réflexion sur l’écrit. Sur cet homme que Varlam Chalamov était dans le camp et cet homme qu’il est lors de l’écriture de son livre.
Comment trouver une cohérence entre cet homme qui est unique et en même temps plusieurs : celui qui a été dans les camps et celui qui en rédige les souvenirs ?
Cette version « poche », abrégée serait le terme plus exact, permet de se confronter à l’œuvre de Charlamov pour ceux que les 1515 pages de la version complète rebuteraient.
Pour moi, j’avoue une certaine frustration à l’idée de n’avoir que cette centaine de pages, frustration à laquelle il sera bien évidemment remédié par l’achat de l’ouvrage intégral.
Il y a longtemps que j’aurais dû parler de Boris Lesniak et de Nina Vladimirovna Savoïéva. Je leur suis redevable, ainsi qu’à Pantioukhov, de m’avoir prodigué une aide concrète durant les jours et les nuits les plus durs de mon existence à la Kolyma. Je leur dois la vie. Si l’on considère que la vie est un bien, ce dont je doute, je suis le débiteur de ces trois personnes bien réelles, qui, en 1943, m’ont apporté, non de la compassion ou de la commisération, mais un réel secours. Il faut savoir qu’elles sont entrées dans ma vie après huit années de pérégrinations dans les gisements d’or, les prisons d’instruction et le cachot des condamnés à mort – la vie d’un crevard ayant vécu 1937 et 1938 dans des gisements aurifères, un crevard qui ne pense plus que la vie est un bien. A l’époque, les seules personnes que j’enviais étaient celles qui avaient eu le courage de mettre fin à leurs jours en 1937, dans le bâtiment de transit de la prison des Boutyrki, alors que l’on formait les convois pour la Kolyma. Ceux-là, je les envie vraiment. Ils n’ont pas connu ce que moi j’ai connu durant les dix-sept années qui ont suivi.
Je n’avais pas vu qu’il existait une version « abrégée » des Récits de la Kolyma. Je fais partie de cette catégorie de lecteurs qui prennent peur devant les 1500 pages du récit ; ainsi, bien qu’ayant noté ce titre à plusieurs reprises, je n’avais jamais franchi le pas. C’est le mérite de cette version de constituer une bonne introduction au livre, même si votre frustration est perceptible. Merci pour cette chronique !
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Bonjour,
Merci 🙂
C’est en effet une bonne introduction et ce format permet au plus grand nombre de découvrir l’oeuvre de Chalamov même si, au vu de la qualité de ses écrits, je ne doute pas que beaucoup se retrouve avec la même frustration que moi !
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