Un livre de Joseph Frank traduit par Jean-Pierre Ricard publié aux éditions des Syrtes

Dostoïevski, un écrivain dans son temps est un modèle de biographie littéraire. Parue initialement en cinq volumes, dans les années 1970, elle a été condensée par l’auteur en 2010, avec une préface inédite.
Joseph Frank aborde la biographie du grand écrivain russe dans une ample vision englobant littérature et temps historique : il entreprend une « reconstruction massive » de l’époque, en y insérant l’oeuvre de Dostoïevski afin de mieux l’éclairer. Il s’agit plus précisément d’une expérience qui allie biographie, critique littéraire et histoire socioculturelle, tout en se concentrant sur les idées que Fiodor Dostoïevski a défendu avec vigueur durant sa vie.
Trois qualités essentielles se dégagent de cette oeuvre. La première réside dans son art de brosser des grands tableaux de la Russie de Dostoïevski et d’en dégager les idées directrices. Il y a ensuite le travail des sources : à chaque moment de la vie de l’écrivain, à chaque description, à chaque analyse de l’oeuvre, Joseph Frank refait une lecture complète des sources, si bien que sa biographie devient critique et analytique. La troisième qualité du biographe est de pénétrer la psychologie profonde, l’esprit de DostoÏevski. Chez Joseph Frank le critique littéraire et le philosophe de l’esthétique cheminent au côte? de l’érudit, de l’historien et du biographe. Le travail d’analyse débouche sur des éléments originaux, jamais mis en évidence auparavant. Par exemple, l’affirmation que Dostoïevski est le seul des grands écrivains russes de la première moitié du XIXe siècle qui ne soit pas issu de la noblesse terrienne ; de ce fait, il a été le plus apte à percevoir le conflit entre l’ancien et le nouveau dans la société russe.
L’écriture est alerte, ferme, concise, où l’érudition n’entrave jamais la saisie profonde du mouvement de la création.
Dostoïevski, un monument de la littérature internationale. Difficile de ne pas citer son nom lorsque l’on parle d’une bibliothèque idéale, de ne pas citer Crime et châtiment ou encore les frères Karamazov.
Mais qui était l’homme derrière ces chefs-d’œuvre ? Voilà une vaste question à laquelle cette excellente biographie de Joseph Frank apporte une réponse.
Une réponse ou plutôt des réponses car Dostoïevski était une personnalité complexe. Grand écrivain, mais également un homme profondément croyant et effrayé par le doute. Un homme persuadé du rôle majeur de la Russie, justifiant l’impérialisme. Un homme au caractère ombrageux, adepte des jeux de roulette, un antisémite. Un homme dont l’expérience du bagne développa sa foi dans le peuple russe. Un père de famille soucieux des siens.
La richesse de cette biographie réside dans sa complétude. Elle ne s’arrête pas uniquement à la chronologie des événements. Elle est aussi une étude poussée des différentes œuvres de l’auteur, les inscrivant dans les différents courants de pensées littéraires ou politiques qui agitaient la Russie de cette période, permettant ainsi au lecteur une bien meilleure compréhension de l’œuvre de Dostoïevski.
Cette biographie permet aussi de croiser d’autres grands noms de la littérature comme Pouchkine, Tolstoï ou Tourgueniev.
Cette biographie est un exemple du genre, éclairant la vie d’un homme mais aussi son époque. Une biographie qui donne envie de découvrir ou de relire les romans de Dostoïevski avec une meilleure compréhension de ce que ces récits signifiaient pour l’auteur et comment ils ont été perçus lors de leur sortie.
Vous l’aurez compris, c’est un coup de cœur et pour tous les amoureux de cet auteur voilà un livre que je recommande.
» Ce qui est particulièrement frappant dans ces lettres, en dehors de la faiblesse de Dostoïevski et de sa capacité à se faire des illusions, c’est son sentiment de culpabilité. Dans le passé, Dostoïevski s’était déjà rabaissé pour avoir subi au jeu des pertes au-dessus de ses moyens, mais jamais il n’était allé si loin dans l’autoflagellation. jamais auparavant quelqu’un n’avait dépendu de lui autant qu’Anna ; jamais il ne s’était senti aussi coupable qu’en ayant l’impression de la sacrifier à sa passion du jeu. »