Un récit d’Irina Emélianova traduit par Gérard Abensour et publié aux éditions des Syrtes

La rue Potapov, à Moscou : c’est l’adresse de l’appartement où une petite fille de neuf ans a pour la première fois vu la silhouette du poète russe Boris Pasternak, lié à sa mère Olga Ivinskaïa par le grand amour que le monde entier allait partager en lisant Le Docteur Jivago.
Irina croisera d’autres figures légendaires : l’opiniâtre Ariadna Efron, la fille de Marina Tsvétaïéva, survivante de quinze ans de camp après son retour d’émigration ; l’écrivain Varlam Chalamov, dont les Récits de la Kolyma ont gravé à jamais dans la prose russe toute l’horreur glacée de l’enfer sibérien. Autant de légendes qui s’ordonnent autour de celle du grand poète à qui les unit une commune ferveur.
Si les nom de Boris Pasternak et son Docteur Jivago parlent à nombre d’entre nous, l’histoire de ce récit est plus méconnue. Il valut à la fois opprobre nationale et reconnaissance internationale à son auteur.
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Il valut aussi, après la mort de Pasternak, des années de Goulag pour la femme qu’il aimait et la fille de celle-ci.
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C’est cette dernière, Irina Emélianova qui prend la plume pour raconter ses souvenirs.
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Ceux d’une jeune fille qui grandit, entourée par les grands noms artistiques de son époque.
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Irina Emélianova nous raconte sa jeunesse. Pas d’une façon simplement chronologique, tel un récit académique mais plutôt comme une conversation. Oui, c’est ça. Les pages sont comme des instants que le lecteur passerait recroquevillé dans le canapé d’une datcha à écouter les souvenirs d’une femme qui a côtoyé des écrivains et des poètes majeurs comme Pasternak ou Chalamov. Qui a noué amitié avec Ariadna Efron, fille de la poétesse Marina Tsvetaeva.
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Une femme qui connaîtra le Goulag d’abord à travers les expériences de ses mère et grand-mère puis qui le vivra elle-même pour prix de ses liens avec Pasternak.
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Certains passages de ces récits sont poignants, lorsqu’elle évoque Ariadna Efron et Varlam Chalamov.
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Pourtant, ce qui ressort de ce récit ce n’est pas la tristesse ou la tragédie. Au contraire, c’est un récit lumineux, tendre, qui ne s’embête pas d’hypocrisie.
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Un hommage à des gens qui ont croisé sa route de façon plus ou moins fortuite, pour plus ou moins longtemps.
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Ce récit est, enfin, une élégie à la poésie. Du réconfort que celle-ci procure à l’âme du lecteur même dans les heures les plus sombres.
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Un très beau récit que je vous conseille !
Seul le temps était à l’unisson de Chalamov, il gelait à pierre fendre, il fallut creuser sa tombe à coups de pioche, les corbeaux tournaient autour de la chapelle en ruines du cimetière de Kountsevo. Lui qui avait connu jusqu’à la lie la pesanteur de notre monde matériel, pouvait-il ne pas croire à la possibilité d’en réchapper ? Lui qui avait tellement cru au verbe, pouvait-il ne pas croire au miracle ? Quelles furent ses pensées pendant ses derniers jours de lucidité ? La réponse est peut-être dans ces quelques vers consacrés aux pins, aux arbres de la taïga, décimés par sa hache, les terribles stères de pins abattus par les condamnés du Goulag :
« De quoi vivent à leur dernière heure
Ces pins éternels ? Un seul rêve,
Devenir mât de misaine
Pour à nouveau effleurer les nuages. »