Un roman de Boris Pilniak traduit par Sophie Benech et publié aux éditions Interférences

Publié en 1926, ce petit livre de Pilniak, fondé sur des faits réels, met en scène un célèbre commandant de l’armée Rouge mort dans des circonstances obscures. Qualifié de » contre-révolutionnaire » et de » calomnieux à l’encontre du Comité Central et du Parti « , ce récit, immédiatement censuré, est l’un des premiers textes littéraires à décrire de l’intérieur la machine infernale de la révolution qui broie peu à peu ses enfants.
Sa puissance presque hallucinatoire tient avant tout à ses qualités littéraires et à son étonnante modernité : avec la froideur et la précision d’une caméra, dans un style cinématographique et saccadé, une lune affolée observe les agissements étranges des hommes dans une ville-machine enveloppée de brouillard et lacérée par les phares d’automobiles fonçant à toute allure dans la nuit…
Un court récit. Basé sur des faits réels : la mort sur la table d’opération de Frounzé, commandant de l’armée rouge en 1925. Une mort très suspecte car « ordonnée » en haut lieu. Une opération à laquelle s’opposait le patient. Une façon de se débarrasser d’un homme populaire, le tuer tout en lui rendant hommage.
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Cependant, Boris Pilniak se défendit d’une telle intention. Il aurait bien du mal à faire autrement : publié en 1926 dans un journal, ce récit fera scandale et tous les exemplaires seront recherchés et, pour beaucoup, détruits. Il vaudra l’opprobre à son auteur qui finira fusillé en 1938.
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Cela tient du miracle que des exemplaires aient survécu à la purge.
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Ce conte est frappant par son style, fait de répétitions, de coupures, d’une originalité frappante ne pouvant laisser le lecteur indifférent. Le ton est halluciné, oppressant.
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À l’image d’un régime qui, tel Chronos, dévore ses propres enfants. Une inhumanité tellement installée que même la future victime ne se rebelle pas, se résigne à sa mort décidée sur une table d’opération. Lui, qui ne voulait pas de l’opération, s’y résigne lorsqu’il comprend que c’est sa mort qui se décide.
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Une très belle découverte pour laquelle il faut saluer les éditions interférences, avec leur catalogue regorgeant de pépites méconnues et dont le travail editorial est très soigné.
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Bref, n’hésitez pas à vous laisser tenter !
« A l’aube, les sirènes des usines hurlaient au-dessus de la ville. Dans les ruelles se traînait un dépôt gris de brumes, de bruine et de nuit ; il se diluait dans l’aube – il indiquait que l’aube serait morose, grise, bruineuse. Les sirènes hurlaient longuement, lentement – une, deux, trois, beaucoup – elles se confondaient en une plainte grise au-dessus de la ville : c’étaient les sirènes des usines qui hurlaient dans le silence du petit matin, mais des faubourgs montaient les sifflements stridents et lancinants des locomotives, des trains qui arrivaient et qui partaient – et il était parfaitement clair que ce qui hurlait dans ces sirènes, c’était la ville, c’était son âme à présent entachée par ce dépôt de brouillard. »
Placer son récit sous le point de vue de la lune, il fallait y penser ! Je suis très curieuse de lire de quelle façon l’auteur la met en scène et découvrir l’atmosphère oppressante du récit.
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C’est un style très particulier mais que j’ai apprécié pour son originalité
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