Croix rouges

Un roman de Sacha Filipenko publié chez les éditions des Syrtes

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Note : 17/20

« Je veux vous raconter une histoire intéressante. Même pas une histoire, une biographie de la peur. Je veux vous raconter comment la terreur qui saisit brusquement un être humain peut changer toute sa vie. »

C’est ainsi que nomme Tatiana Alexeïevna l’histoire de sa vie qu’elle confie à Sacha, et le jeune homme fraîchement débarqué dans son immeuble en devient le dépositaire à son corps défendant. Le dialogue qui s’installe entre la vieille femme malade et le jeune arbitre de football évoque des tragédies, historique pour l’une, intime pour l’autre. L’existence de Tatiana est hantée par la question obsédante de la recherche de la vérité tandis que Sacha tente de tourner une page douloureuse afin de continuer à vivre. La croix rouge se mue en attribut de la mémoire. Elle rappelle les prisonniers soviétiques abandonnés pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi le signe que dessine la vieille femme sur les portes pour retrouver celle de son appartement et la croix que portaient les citoyens soviétiques soumis à la terreur ; c’est enfin l’objet des dernières volontés de l’héroïne. 


 

Je remercie tout d’abord les éditions des Syrtes et Babelio pour m’avoir fait découvrir ce roman lors de la dernière Masse critique organisée par le site internet.

C’est un roman relativement court de 210 pages mais qui est très intéressant à plusieurs titres.

Il s’agit tout d’abord d’un bon roman. Il nous présente l’histoire de Tatiana Alexeïevna et sa vie en Russie ou plutôt en U.R.S.S. C’est tout un pan de l’histoire soviétique que nous découvrons à travers le destin de Tatiana, la peur au quotidien dans ce pays dirigé par Staline où tout est susceptible de vous voir proclamer « ennemi du peuple » avec toutes les conséquences que cela entraîne : interrogatoires, goulags… On se prend très vite d’affection pour cette femme qui raconte sa vie, avant qu’Alzheimer ne l’en empêche, à son jeune voisin.

On découvre toute l’absurdité du système mis en place par l’appareil soviétique : par exemple les soldats russes prisonniers lors de la seconde guerre mondiale étaient considérés comme des traîtres car toujours vivants et leurs familles également.

J’ai aussi appris que, sous Staline, des gens avaient été poursuivis et condamnés pour avoir critiqué Hitler alors même que l’opération Barbarossa avait été lancée… (Absurde disais-je ?)

Ce qui est également un grand point positif du roman c’est la réflexion que l’auteur nous pousse à avoir sur la question de la mémoire, qu’elle soit individuelle ou collective.

Que faire lorsque les témoins des horreurs passées ne peuvent pas témoigner, que ce soit à cause d’une maladie ou de l’omerta qui règne toujours ?

Que faire pour ne pas répéter les erreurs du passé alors que pour certains tout a été fait pour le mieux et que Staline est, et restera, un héros, le petit père des peuples ?

Ce livre fait écho à l’actualité lorsque l’on constate que la figure de Staline reste sacrée mais forcément pas celles de ses victimes… C’est ainsi qu’un film satirique « La mort de Staline » a été censuré par le gouvernement russe en début d’année.

L’auteur avec un style concis et sans fioritures ne nous apporte pas de réponses mais nous apporte son histoire. Celle-ci m’a convaincue et je vous ai donné, j’espère, envie de la lire à votre tour.

Combien de fois, autour d’une table, après un ou deux verres, nous discutions entre amis de telle ou telle conduite ?
« Non, ça je ne le ferais jamais ! Non, même menacé de mort ! Trahir ? Vous n’y pensez pas ! Calomnier? Jamais ! Il y a des limites à tout ! Et la morale, alors ? Et l’honneur ? Vous avez appris que tel ou tel avait écrit des dénonciations ? Et moi, l’aurais-je fait ? Ah, non ! Jamais, c’est certain ! Accuser faussement quelqu’un ? Sottise ! Je ne le ferais pas, même sous la torture. Et si la vie de mes enfants en dépendait ? Rien ne pourrait me forcer à renoncer à mon humanité ! »
Si seulement ! En réalité tout était beaucoup plus complexe. Si l’être humain a vraiment réussi en un domaine, c’est dans l’art de s’arranger avec lui-même.

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