La fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement

Un livre de Svetlana Alexievitch publié dans la collection Babel chez Actes Sud

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Après soixante-dix ans de marxisme-léninisme, après des millions de morts, après l’implosion de l’URSS, que reste-t-il de l’Homo sovieticus ? Armée d’un magnétophone et d’un stylo, mue par l’attention et la fidélité, Svetlana Alexievitch a rencontré des survivants qui ont vécu la petite histoire d’une grande utopie et témoignent de cette tragédie qu’a été l’Union soviétique.


Ce magnifique requiem fait ainsi résonner des centaines de voix brisées : des humiliés et des offensés, des gens bien, d’autres moins bien, des mères déportées avec leurs enfants, des staliniens impénitents malgré le Goulag, des enthousiastes de la perestroïka ahuris devant le capitalisme triomphant et, aujourd’hui, des citoyens résistant à l’instauration de nouvelles dictatures…
A la fin subsiste cette interrogation : pourquoi un tel malheur ? Le malheur russe ? Impossible en effet de se départir de l’impression que ce pays a été « l’enfer d’une autre planète ».


Après la fin de l’U.R.S.S, après la pérestroïka, que reste-il de l’homme rouge, l’homme soviétique, si tant est qu’il ait jamais existé… ? voilà une question politique, philosophique et morale à laquelle Svetlana Alexievitch tente d’apporter une réponse.

À sa manière, en écoutant, en retranscrivant les témoignages des gens, leurs histoires pour tenter de comprendre l’Histoire.

Mais la vérité n’est pas une, elle est mouvante d’un individu à l’autre, d’une époque à l’autre. Insaisissable mais en écoutant suffisamment on peut entendre certaines choses…

Que certains regrettent Staline, d’autres non. Qu’il y a des nostalgiques de la grandeur de la Patrie et d’une certaine idée de l’homme.

Que pour certains la pénurie des produits pendant la période soviétique n’était pas si importante par rapport aux discussions politiques dans les cuisines face à cette époque post-communiste consacrant le dieu l’argent.

Que la chute du communisme s’est faite entre pessimisme et espoir. Que les grands gagnants du nouveau capitalisme sont les plus malins pour certains, les plus malhonnêtes pour d’autres.

Que les épreuves, les malheurs, les drames et les deuils ont d’autres causes mais que sous une forme ou une autre, la souffrance est là comme collée au peuple russe.

Que l’homme rouge est une espèce en voie de disparition mais que l’homme qui l’a suivi ne vaut pas mieux que son prédécesseur.

Que la vérité comme souvent fait mal, elle rappelle que les utopies sont finies, mais pas les souffrances des hommes.

Un livre éclairant, tragique et magnifique. Un coup de cœur, encore une fois, pour Svetlana Alexievitch.

Le socialisme c’est de l’alchimie. Une idée alchimique. On fonçait allègrement, et on est arrivé Dieu  sait où. « A qui faut-il s’adresser quand on veut entrer au Parti communiste ? – à un psychiatre. » Toute la salle s’esclaffe. Mais eux…Nos parents…Ma mère…Ils ont envie d’entendre que la vie qu’ils ont vécue était importante et non minable, qu’ils ont cru en quelque chose qui en valait la peine. Or qu’est ce qu’on leur dit ? On leur répète à tout bout de champ que leur vie était de la merde et qu’ils n’avaient rien, à part leurs horribles missiles et leurs tanks. Ils étaient prêts à repousser n’importe quel ennemi. Et ils l’auraient fait ! Mais tout s’est écroulé sans qu’il y ait eu de guerre. Et personne ne peut comprendre pourquoi. Là, il faudrait réfléchir…Mais on ne nous a pas appris à le faire. Tout le monde se souvient uniquement de la peur…On ne parle que de ça. J’ai lu quelque part que la peur, c’est aussi une forme d’amour. je crois que c’est Staline qui a dit ça…Aujourd’hui, les musées sont vides et les églises sont pleines, parce que nous avons tous besoin de psychothérapeutes, de séances de psychothérapie.

7 réflexions sur « La fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement »

  1. Je l’ai trouvé absolument passionnant. Je me suis toujours demandée comment les Soviétiques avaient vécu la fin du communisme, surtout que pour certains d’entre eux, c’était tout ce qu’ils avaient connu. J’ai adoré avoir cette diversité de points de vue sur la question. Le prochain que je lirai d’elle est sûrement La guerre n’a pas un visage de femmes.

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  2. Encore une preuve du grand talent de Svetlana Alexievitch. C’est un livre si riche que j’avais lu avec beaucoup d’intérêt il y a quelques années. Je te conseille aussi « Derniers témoins » et « La supplication » qui sont des récits extrêmement forts

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