Les livres de Jakob ou le Grand Voyage

Un roman d’Olga Tokarczuk publié aux éditions Noir sur Blanc

les livres de Jakok couv

Hérétique, schismatique, Juif converti à l’islam puis au christianisme, libertin, hors-la-loi, tour à tour misérable et richissime, vertueux et abominable, Jakób Frank a traversé l’Europe des Lumières comme la mèche allumée d’un baril de poudre. De là à se prendre pour le Messie, il n’y avait qu’un pas – et il le franchit allègrement.


Le dessein de cet homme était pourtant des plus simples : il voulait que ceux de son peuple puissent, eux aussi, connaître la sécurité et le respect d’autrui. Il voulait l’égalité. La vie de ce personnage historique, qui fut considéré comme le Luther du monde juif, est tellement stupéfiante qu’elle semble imaginaire.
Un critique polonais, saluant la réussite absolue de ce roman de mille pages, dit qu’il a fallu à Olga Tokarczuk une « folie méthodique » pour l’écrire. On y retrouve les tragédies du temps, les guerres, les pogroms et la ségrégation, mais on y goûte aussi les merveilles de la vie quotidienne : les marchés, les cuisines, les petits métiers, les routes incertaines et les champs où l’on peine, l’étude des mystères et des textes sacrés, les histoires qu’on raconte aux petits enfants, les mariages où l’on danse, les rires et les premiers baisers.
Ainsi que le dit le père Chmielowski, l’autre grand personnage de ce roman, auteur naïf et admirable de la première encyclopédie polonaise, la littérature est une forme de savoir, elle est « la perfection des formes imprécises ».


Jakób Frank est un personnage historique mais il aurait pu aussi être un personnage de fiction inventé par un auteur fantasque.

Un juif converti à l’islam puis baptisé, qui alterna entre richesse et pauvreté, fuite et reconnaissance étant persuadé et réussissant à persuader qu’il était un nouveau messie.

Roman de 1000 pages, il y aurait tant à dire sur ce livre, qui ne narre pas tant la vie d’un prophète, que la vie de son mouvement.

Récit éblouissant d’érudition, la somme du travail fourni pour sa rédaction se ressent à chaque page, à chaque ligne.

Mais ceci conduit une lecture très exigeante. Je me suis ainsi souvent perdue dans les noms des personnages (qui changent tous en cours de route…) et dans des considérations spirituelles parfois obscures pour moi.

Fenêtre ouverte aussi sur la vie quotidienne en Pologne au 18ème siècle notamment celle des juifs entre discriminations, pogroms, et nouveaux départs à prendre.

Le rythme est lent car chaque fil du récit est dénoué, suivi jusqu’à son origine. Il faut aimer les digressions, perdre le fil principal de l’histoire pour au final mieux le retrouver.

Malgré les bémols apportés plus haut, cette lecture reste atypique et intéressante.

Olga Tokarczuk montre à quel point son talent et son originalité sont indéniables avec ce roman fleuve.

Il remarque que plus l’on va vers le sud, plus la chrétienté décline, que plus il y a de soleil, plus le vin est sucré, et que plus il y a de Fatum, meilleure est sa vie. Ses décisions ne sont plus les siennes mais lui viennent de l’extérieur, elles relèvent de l’ordre du monde. Puisqu’il en est ainsi, sa responsabilité est moindre, tout comme cette honte intérieure, ce sentiment insupportable  d’être coupable de toute ce qu’il fait. Là, toute action peut être réparée, il est possible de s’entendre avec les dieux, de leur faire une offrande. Regarder son propre reflet dans l’eau avec respect devient possible. Considérer autrui avec amour, également. Personne n’est mauvais, aucun assassin ne peut être condamné car il intervient dans un projet plus vaste, qui le dépasse. On peut aimer autant le bourreau que la victime. Les gens sont bons et paisibles. Le mal qui arrive ne vient pas d’eux, mais du monde. Le monde, lui, est mauvais, et comment !

5 réflexions sur « Les livres de Jakob ou le Grand Voyage »

Laisser un commentaire