Je t’aime affreusement

Un livre d’Estelle Gapp publié aux éditions des Syrtes

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Si Marina Tsvetaeva compte aujourd’hui parmi les grands poètes russes du XXe siècle, on le doit au destin et au tempérament hors du commun de sa fille, Ariadna Efron (1912-1975), qui, après avoir traversé deux guerres mondiales, la révolution, l’émigration, les procès staliniens et la déportation, est la seule survivante d’une famille broyée par la Terreur. Après seize ans de Goulag, elle consacre les vingt dernières années de son existence à faire publier l’œuvre de Marina. La « Fille-prodige » deviendra le premier éditeur de sa mère.


Je t’aime affreusement est une lettre qu’Ariadna aurait pu écrire, depuis le premier jour de sa libération, en 1955, jusqu’à sa mort, en 1975. Une lettre d’outre-tombe, qui s’adresse à celle qui est morte depuis longtemps (en 1941), pour lui dire ce qu’elle n’a jamais su : les sentiments qu’elle, Alia, a éprouvés auprès d’une mère à la personnalité excentrique et exaltée, qui lui a transmis le meilleur et le pire: le goût de la littérature et la condamnation à l’exil. Une lettre où elle laisserait enfin éclater sa colère, face à l’injustice, face au sacrifice d’une vie vouée à ce seul devoir : sauver de l’oubli la poésie de Marina..


L’ombre d’un parent peut-elle nous empêcher de grandir, de trouver la paix ?

Lorsque cet amour fut notre plus grande force mais aussi notre faiblesse, comment conjurer le sort ?

Écrire, enfin, se défouler des mots, des malaises d’une vie ?

C’est le chemin qu’aurait pu prendre Ariadna Efron, fille de la grande poétesse russe, Marina Tsvetaeva.

C’est le chemin que lui fait prendre Estelle Gapp en imaginant les lettres qu’auraient pu écrire la « fille de ». Celle qui fut étouffée par cet amour maternel. Celle qui sacrifia une partie de ses rêves pour permettre à sa mère de réaliser les siens. Celle qui, pour fuir cette mère, se rapprochera de son père et de ses mauvais choix. Celle enfin qui fut déportée et ne sera pas là pour recueillir le dernier souffle de sa mère suicidée.

Si Marina Tsvetaeva est reconnue à juste titre pour son talent, c’est grâce à sa fille qui, de retour du goulag, se donnera pour mission de faire éditer les œuvres de sa mère comme une demande de pardon pour les rancœurs passées, une reconnaissance de cet amour infini et imparfait qui les a unies.

Récit d’une vie à l’ombre d’une mère fantasque, avec l’écriture comme obsession, ces lettres imaginaires sont à la fois un cri de haine et un cri d’amour.

Une façon de célébrer une mère et ainsi de survivre également. Une magnifique lecture.

Un jour, à la cantine populaire, vous recevez une seule ration de soupe pour vos deux enfants. Une soupe insipide, faite d’eau bouillie et d’épluchures de pommes de terre. Laquelle de vos deux filles nourrir ? L’aînée ou la cadette ? La plus robuste ou la plus fragile ? Une mère peut-elle faire le choix de l’une, et condamner l’autre ? C’est pourtant ce que vous faites : vous l’écrivez noir sur blanc « Ou bien Alia avec de la soupe donc Irina sans soupe, ou bien Irina avec de la soupe et donc Alia sans soupe ». Une équation mathématique, que vous résolvez de manière irrationnelle : « Irina est plus petite et plus faible, mais j’aime plus Alia ». Avez-vous conscience, à ce moment-là, d’obéir à la loi de la nature la plus violente, la plus tyrannique : la loi du plus fort ?

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