Un roman d’Andreï Kourkov traduit par Paul Lequesne et publié aux éditions Liana Levi

Dans un petit village abandonné de la « zone grise », coincé entre armée ukrainienne et séparatistes prorusses, vivent deux laissés-pour-compte :
Sergueïtch et Pachka. Ennemis d’enfance, désormais seuls habitants de ce no man’s land, ils sont obligés de coopérer pour ne pas sombrer. Et cela, malgré des points de vue divergents vis-à-vis du conflit. Sergueïtch sympathise avec un soldat ukrainien qui lui rend des visites furtives ; Pachka fréquente en cachette ses « protecteurs russes » pour se procurer des denrées alimentaires.
Leurs conditions de vie sont rudimentaires : charbon pour se chauffer, conserves pour se nourrir, bougies récupérées dans une église détruite pour s’éclairer. Les journées monotones de Sergueïtch sont cependant animées de rêves visionnaires et de souvenirs. Ce qui lui importe avant tout, ce sont ses abeilles. Apiculteur dévoué, il croit en leur pouvoir bénéfique qui autrefois attirait des clients venus de loin pour dormir sur ses ruches lors de séances de « thérapie curative ». Alors que l’hiver les abeilles demeurent dans sa grange, à l’abri du froid et des bombardements, il décide, le printemps venu, de leur chercher un endroit plus calme. Ses six ruches chargées sur la remorque de sa vieille Tchetviorka, le voilà qui part à l’aventure. Mais même au cœur des douces prairies fleuries de l’Ukraine de l’ouest et le silence des montagnes de Crimée, le grand frère russe est là, qui surveille…
Quel plaisir de retrouver la plume d’Andreï Kourkov après avoir été séduite par son roman « Le pingouin ». Malheureusement, la guerre en Ukraine donne à cette lecture un écho douloureux.
Nous voilà conduits dans un village ukrainien de la zone grise, Mala Starogradivka. Un village entre deux camps : les séparatistes et pro-russes d’un côté et les soldats ukrainiens de l’autre.
Un village à l’abandon, sans commerce, ni électricité. Avec seulement deux habitants qui ne s’apprécient pas, pour couronner le tout : Pachka et Sergueïtch. Ce dernier a une responsabilité, une passion dans la vie : ses abeilles.
Inquiet pour leur sécurité, il décide de les emmener, au printemps, vers des zones plus verdoyantes, plus sereines loin de ce conflit aux portes de chez lui. Mais ce voyage va amener son lot de rencontres et de surprises pour l’apiculteur.
Ce roman est d’une temporalité particulière, il est très lent. Pas le lent ennuyeux mais, celui qui s’impose à vous comme un temps calme, une bulle où les choses graves ou insignifiantes se déroulent sans brouhaha.
Cela constitue une très bonne surprise que ce récit qui prend le temps. Le temps de s’interroger sur les liens que l’on tisse avec un ennemi qui devient notre seul voisin, sur un divorce, sur un poêle qu’il faut recharger ou sur le sort du corps d’un soldat pas réclamé.
Sergueïtch est un homme simple, qui souhaite simplement que ses abeilles soient heureuses. Il ne se préoccupe pas de politique mais les événements vont le conduire, malgré lui, à s’impliquer, à se confronter à ce grand frère russe qu’il pensait éviter mais qui se glisse à chaque étape du voyage.
Les abeilles grises est un très beau roman, qui interroge, qui se savoure, doux amer, entre rencontres bienveillantes et violence aveugle.
Une très belle réussite de cet auteur que je vous invite à découvrir.
« Il avait rassemblé toute sa volonté et n’avait pas permis aux larmes montées à ses yeux de rouler sur ses joues. Il avait continué à vivre. Une vie tranquille, à l’abri du besoin. Savourant l’été le bourdonnement des abeilles, et l’hiver le calme et le silence, la blancheur des champs couverts de neige et l’immobilité du ciel gris. Il aurait pu passer ainsi le reste de sa vie, mais le sort en avait décidé autrement. Quelque chose s’était brisé dans le pays, s’était brisé à Kiev, là où il y avait toujours un truc qui n’allait pas. S’était brisé, et de telle manière que de douloureuses fissures s’étaient propagées par tout le pays, comme dans du verre, et que de ces fissures du sang avait coulé. Une guerre avait éclaté, dont la cause pour Sergueïtch, depuis trois ans, restait brumeuse. »
Je n’ai lu que des commentaires élogieux sur cet auteur et notamment ce livre. Il est sur ma liste désormais !
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, ce roman est vraiment excellent ! Et j’espère que tu rejoindras la liste des lecteurs enthousiasmés par celui-ci 🙂
J’aimeJ’aime