Les dévastés

Un roman de Théodora Dimova traduit par Marie Vrinat publié aux éditions des Syrtes

Le 9 septembre 1944, un coup d’Etat est perpétré par le Front de la patrie, soutenu par l’Armée rouge qui pénètre dans une Bulgarie alliée de l’Allemagne nazie, traumatisée par les années de guerre. C’est la terrible épuration qui suit l’arrivée au pouvoir des communistes et ses stigmates que Théodora Dimova explore dans Les Dévastés.

Trois femmes se retrouvent, un froid matin de février 1945, au bord de la fosse commune dans laquelle ont été jetés les corps des hommes qu’elles aimaient, et dont les destins se sont croisés dans une même cellule. Comme tant d’autres, ils ont été torturés, condamnés et sommairement exécutés, emportés par la rage révolutionnaire. Des décennies après, l’image de la fosse du cimetière de Sofia, où la neige tombe sans la recouvrir de sa blancheur continue de hanter les esprits…

Au delà des figures masculines assassinées qui émergent à travers leurs récits, la douleur, dans ce livre, est un personnage central. Elle jaillit des phrases et parvient, de façon à la fois étrange et subtile, à alarmer et à réconforter, peut-être même à guérir. Les Dévastés est un portrait de l’élite intellectuelle bulgare broyée par la terreur. Mais c’est aussi celui d’une société dans laquelle la tragédie a été longtemps tue au point de devenir un douloureux secret.


La Bulgarie, un matin froid de février, nous sommes en 1945. Devant une fosse commune d’un cimetière de Sofia. Des femmes sont là pour pleurer leur mari, leur fils ou leur père. Victimes de la répression suite au coup d’état du Front de la patrie, avec le soutien de l’URSS.

Trois femmes livrent le récit de leurs morts, symboles des pans de la société touchée par la répression : l’intelligentsia culturelle, économique et religieuse.

C’est d’abord Raïna qui rend hommage à son mari Nikola, dans un monologue touchant. Puis Ekaterina qui rédige une lettre à ses enfants pour leur raconter leur père, prêtre. Enfin, c’est l’histoire de Viktoria et de son mari. Un récit plus âpre, apportant une noirceur qui va crescendo dans la suite du roman, montrant déjà le poids des secrets et leur triste répercussion. 

Trois récits qui offrent chacun un style différent : le monologue, la lettre et le récit. Avant un dernier chapitre, centré sur l’avenir. 

Des récits qui offrent d’abord des visions parfaites des disparus pour mieux dénoncer la violence des morts et leurs répercussions dans une société muselée où le silence est de mise. Car la mort de ces hommes n’est pas tant le sujet principal de ce livre que le courage des survivants, leur douleur et leur vie qui continue,  brisée.

« Les dévastés » met au premier plan l’émotion. Le contexte politique n’est qu’effleuré, sans que cela ne gêne la lecture. Novice en histoire contemporaine de la Bulgarie, je n’ai pas ressenti de manque à ce niveau durant ma lecture. Seule la douleur est là, palpable. Comme un poison qui s’infiltre insidieusement et se diffuse, tout au long des années.  La répression frappant également les descendants des fusillés. De façon indirecte, sans balle, ni emprisonnement mais en les condamnant à une vie de silence, de non-dits et d’ostracisme sans parler des conditions matérielles précaires.

Ce roman est très réussi, par son sujet, si habilement traité mais aussi par son style. Chaque chapitre a sa voix, sa façon de raconter les événements, on passe d’une narration à l’autre sans que cela n’entrave la fluidité ou l’émotion du récit. 

Les révélations et les liens entre les différentes parties se font au fur et à mesure, de façon discrète et sans artifice. 

Un roman fort et très réussi qui confirme le talent de Théodora Dimova et une nouvelle incursion réussie pour moi en littérature bulgare, donc si vous avez d’autres titres à me conseiller, n’hésitez pas à me donner vos conseils.

Je finis ce post pour remercier Bénédicte du blog Passage à l’Est ( https://passagealest.wordpress.com ) pour cette lecture commune, ce fut un plaisir de partager cette lecture avec elle. Vous pouvez retrouver sa chronique qui est déjà en ligne.


 » A présent, quatre mois plus tard, Raïna errait dans les mêmes pièces, du vestibule à la cuisine, la chambre à coucher, devant la chambre des enfants elle s’arrêtait et écoutait, dormaient-ils ou non, elle n’osait pas ouvrir la porte de peur de les réveiller. Mais peut-être craignait-elle de les trouver éveillés, recroquevillés, retenant leur souffle, tendant l’oreille à la nuit glaciale de février, au vent qui gémissait sinistrement contre les fenêtres. Elle combattait son désir d’entrer dans leur chambre, de les réveiller, de les prendre dans ses bras et de leur dire : venez avec moi, soyons ensemble tous les trois, afin de prier pour votre papa. »

11 réflexions sur « Les dévastés »

  1. je ne le note, je l’ai vu chez Passage à L’Est et ce deuxième billet me confirme mon envie de le lire ! Je connais mal l’histoire de la Bulgarie du coup ma curiosité est piquée

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  2. Une belle présentation, pour un roman fort et dont j’ai encore plus apprécié le thème et la structure en le relisant.
    Une chose qui n’a pas changé pour moi à la relecture, c’est que j’ai trouvé le style un peu trop similaire entre le premier et le deuxième chapitre (même si la forme change, du monologue à la lettre, comme tu le soulignes). Dans les deux cas, c’est un style très pressé, tourbillonnant de pensées – un peu trop tourbillonnant pour Ekaterina et cela me paraissait réduire la crédibilité de cette lettre.
    J’ai davantage vu la différence avec le troisième chapitre, et j’ai trouvé que ce changement était une bonne chose pour l’ensemble du livre.

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    1. C’est vrai qu’il y a une urgence similaire entre les deux premiers chapitres mais j’ai trouvé que l’objet différent de cette angoisse (la mort du mari pour la première et sa propre mort pour la seconde) donnait une coupure nette entre les deux.
      Il est certain que la coupure est beaucoup plus significative avec la troisième partie.

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