Dans les forêts

Un roman de Pavel Melnikov-Petcherski traduit par Sylvie Luneau et publié aux édition des Syrtes

«Où n’ai-je pas eu l’occasion d’aller? Dans les forêts, dons les montagnes, dans les marais, dans les mines, dans la soupente du paysan, dans les cellules étroites, dans les ermitages, dans les palais, on ne saurait en faire l’énumération. Et où que j’aie été, quoi que j’aie lu et entendu, je me souviens de tout avec netteté. Il m’est venu l’idée d’écrire… et j’ai commencé à écrire « de mémoire, comme à livre ouvert »… Voilà tout.»

Melnikov nous apprend ainsi comment est né cet ouvrage, qui paraît pour la première fois en français, et qui est l’un des monuments de la littérature russe. Plus qu’un roman, c’est un poème, au sens où Gogol employait ce terme pour ses Âmes Mortes, – mais un poème de l’abondance, un hymne à l’amour, à la nature, à la joie de vivre.
Melnikov décrit les mœurs des vieux-croyants riverains de la Volga au milieu du XIXe siècle. Il est allé lui-même aux sources : ses personnages sont peints d’après nature. L’abbesse Manefa et sa fille Flenouchka ont existé, et Patap Maximytch a pour prototype un millionnaire de Nijni-Novgorod, protecteur du raskol, schisme qui éclata au XVIIe siècle, et qui creusa un fossé entre les classes dirigeantes et le peuple russe.
L’action se déroule en une année liturgique, de Noël à la Pentecôte, et l’auteur y décrit, au long des saisons, les travaux et les jeux des paysans, où les usages chrétiens et païens sont curieusement mêlés, – et où s’enchevêtrent de multiples destins : privilégiés du raskol, paysans richissimes qui tiennent entre leurs mains toute la navigation de la Volga, abbés directeurs d’ermitages, maîtres de maison diligents, mais aussi ascètes, jeûneurs, et tout le peuple des errants vagabonds, des pèlerins,
n’ayant pas de ville dans le présent, cherchant celle des Temps à venir.


Autant l’annoncer en préambule, ce roman rejoint la liste de mes classiques russes favoris. 

Dans les forêts est un roman de Pavel Melnikov-Petcherski qui se situe dans un cadre particulier, celui des vieux-croyants d’outre Volga au milieu du 19eme. 

Les vieux-croyants ? Les tenants des anciennes pratiques orthodoxes, qui s’opposèrent aux réformes religieuses opérées par le patriarche Nikon au 17ème siècle. 

Les groupes des vieux-croyants évoluèrent avec leurs règles propres, leurs ermitages et leurs traditions. 

L’action du roman se situe à la veille d’un chamboulement de première importance pour eux : la fin des ermitages, mais aussi le déclin de ces raskolnik.

L’auteur nous emmène dans un monde très complet, plein de références à la pratique des vieux-croyants, sans que cela soit ennuyeux. Il dissèque, également, les anciennes pratiques religieuses dans la Russie païenne. Le tout avec une grande maîtrise et une fluidité des explications données.

En voilà pour le contexte, mais qu’en est-il des personnages ?

L’on suit, au fil des pages, un riche marchand, une abbesse, des novices, des escrocs, des veuves malheureuses, des pauvres rêvant de devenir riches. 

Tous les personnages principaux se caractérisent par un soin apporté à leurs caractères, aucun n’est parfait. L’un est bon mais désireux de devenir riche avant tout ; l’autre est empêtré dans ses difficultés à résister à le gent féminine ou une autre veut vivre loin du couvent mais ne veut pas attrister sa mère. 

Mariage par « rapt », fêtes religieuses, corruption, métiers, robes, tout un folklore s’étend devant les yeux du lecteur ébahi par la maîtrise de l’étude menée par l’auteur. Sans oublier une dose d’ironie et d’humour. 

Pour parler de ce roman, la traductrice, dont il faut saluer le travail exceptionnel, dans la postface parle de ce livre comme d’un roman mais aussi une œuvre d’ethnologie. Je suis complètement d’accord avec ses propos.

Ce roman est un coup de cœur, une fresque que je n’ai pas réussie à lâcher.

Et vous, aviez-vous déjà entendu parler de ce roman ?


« Cette coutume des mariages « par rapt » existe outre-Volga de temps immémorial et si elle se maintient c’est surtout parce que, dans les moeurs paysannes de là-bas, le sort de la jeune fille qui vit chez ses parents n’est guère enviable. La fille dans sa famille est appréciée comme ouvrière bénévole et on ne la donne pas de bon gré en mariage « honorable ». Une fille, dit-on, doit travailler pour dédommager ses parents de ce qu’ils ont dépensé pour la nourrir ; et quand elle les aura remboursés, elle ira où elle voudra. Mais le terme est long à échoir : Jusqu’à trente ans et plus, elle est tenue de vivre comme ouvrière chez ses parents. »

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